À la recherche d’un mystérieux oiseau de nuit : l’engoulevent bois-pourri
Dès la mi-mai, à la tombée de la nuit, un chant singulier vient troubler les oreilles moindrement affutées des citoyens qui habitent à proximité de vastes milieux forestiers. Ce chant facilement reconnaissable, un bois pou-our-ri répété jusqu’à 1000 fois sans interruption, résonne fort et intrigue. Le responsable est un oiseau forestier nocturne : l’engoulevent bois-pourri. Plutôt rares sont ceux qui l’entendent, encore plus rares sont ceux qui arrivent à l’apercevoir. Ce maitre du camouflage se fond impeccablement dans le sous-bois forestier, où il niche.  

Dénicher l’engoulevent bois-pourri
Premièrement, il faut cibler un paysage avec une mosaïque d’habitats ouverts (champs, friches, emprises électriques, plans d’eau, tourbières ouvertes) et de milieux forestiers. Les habitats ouverts servent surtout de territoire pour chasser les insectes (papillons de nuit et coléoptères), et les milieux boisés, de site de nidification. Idéalement les forêts doivent représenter environ 50% du paysage et en deçà de 25%, de couvert forestier, l’engoulevent est susceptible d’abandonner le territoire. Une fois qu’on a trouvé une mosaïque intéressante, on cherche les habitats de nidifications potentiels : ceux-ci doivent être ombragés, peu denses en végétation de sous-étage et avoir un sol bien drainé (un sol sableux est le summum). Les sites de ponte et d’élevage des petits sont généralement tout près de sites d’alimentation (jusqu’à 500 m du nid), qui eux sont souvent dans des milieux ouverts. En conséquence, les lisières forestières clairsemées offrent de bons sites de nidification pour les engoulevents. Et finalement, pour confirmer sa présence dans des secteurs fortement potentiels, il faut faire des routes d’écoute la nuit et détecter son chant répétitif et les zones d’où il provient. Une mise en garde est cruciale : dénicher le nid de l’engoulevent n’est pas vraiment une tâche réaliste, ce qui entretient tout ce mystère autour de lui. 

Cycle vital (et cycle de la lune)
Notre énigmatique oiseau de nuit est un migrateur qui arrive en provenance de la côte est de l’Amérique, de la Floride jusqu’au Panama, vers chez nous au Québec pour la période la plus critique pour l’espèce : celle de la reproduction. Ils sont présents normalement entre mai à août et peuvent avoir deux portées par été, généralement de 2 poussins. Les couples peuvent rester ensemble pendant des années et sont même très fidèles à leur site de nidification.  

Le meilleur moment pour entendre chanter l’engoulevent bois-pourri serait autour de la pleine lune la plus près du début du mois de juillet. Bien qu’il soit nocturne et voit bien dans le noir, une petite assistance de la clarté de la lune aiderait ces insectivores aériens à mieux détecter leurs proies et en attraper davantage pour eux et leurs oisillons. D’ailleurs, l’engoulevent pond ses œufs selon le cycle lunaire pour que ceux-ci éclosent peu avant la pleine lune ! 

Un déclin prévisible
Depuis 1970, on remarque au Canada un déclin constant des populations d’engoulevents bois-pourri d’environ 3% par année. Ce déclin cumulé aurait causé une perte de plus de 50% des effectifs d’engoulevents ! L’oiseau fait actuellement l’objet d’un reclassement qui le ferait passer d’espèce menacée à un statut d’espèce préoccupante en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada. Pourtant, les menaces qui pèsent sur lui sont considérables : 

– Il s’agit d’un insectivore aérien, et comme les autres espèces de ce groupe (chauves-souris, hirondelles et martinet), il souffre grandement du déclin de ses proies, causé par l’utilisation de pesticides et de la perte de leurs habitats.
– Il subit lui-même la dégradation et la modification de son habitat, surtout à cause de l’expansion urbaine, agricole et industrielle.
– Son nid, fait au sol, peut être facilement prédaté par des chats domestiques (une des pires espèces envahissantes), les ratons laveurs, mouffettes, écureuils, etc.
– Les changements climatiques amènent des évènements climatiques défavorables plus fréquemment et ceux-ci peuvent affecter la migration, le succès de reproduction, la disponibilité de proies ou la phénologie de nidification. 

La conservation de l’engoulevent bois-pourri mérite encore beaucoup d’attention et, comme une des premières étapes est d’avoir un portrait de sa distribution dans la région du Centre-du-Québec, nous invitions les citoyens qui en entendent à envoyer leur signalement à SOS-POP : https://www.quebecoiseaux.org/fr/signalement-sos-pop ou à nous écrire à rebecca.matte@crecq.qc.ca . 

Rébecca Matte
Chargée de projet – Équipe milieux naturels (CRECQ)

 

Références 

Cink, C. L., P. Pyle, and M. A. Patten. 2020. Eastern Whip-poor-will (Antrostomus vociferus), version 1.0. In Birds of the World (P. G. Rodewald, Editor). Cornell Lab of Ornithology, Ithaca, NY, USA.  
Environnement et Changement climatique Canada. 2018. Programme de rétablissement de l’Engoulevent bois-pourri (Antrostomus vociferus) au Canada. Série de Programmes de rétablissement de la Loi sur les espèces en péril, Environnement et Changement climatique Canada, Ottawa. viii + 111 p.