La gestion de l’eau et son avenir au Centre-du-Québec
L’eau est une ressource qui ne connaît pas de frontières. Soumis aux aléas du territoire et aux particularités topographiques régionales, elle ne reconnaît pas les limites administratives qui découpent le sud du Québec. Cette ressource respecte plutôt les limites de ce qu’on désigne comme un bassin versant. Ce terme désigne l’ensemble d’un territoire drainé par un cours d’eau principal et par ses tributaires. Ces limites sont ainsi définies à partir des points les plus élevés qui déterminent la direction des eaux de ruissellement jusqu’à l’embouchure du cours d’eau.
Cette particularité nécessite de repenser la façon de gérer le territoire, qui ne peut s’arrêter aux seules frontières administratives qui délimitent les territoires municipaux. En effet, les impacts survenant en amont d’un cours d’eau peuvent n’avoir des répercussions qu’en aval de celui. Afin de bien prendre en compte ces externalités dans la région de l’eau, un nouveau mode de gestion fut adopté au Québec au tournant des années 2000. Il s’agit de la Gestion intégrée de l’eau par bassin versant (GIEBV).
Il s’agit d’un mode de gestion qui considère l’ensemble des usages qui ont un impact sur la ressource en eau et les milieux qui y sont associés. Elle permet de faciliter la compréhension des problématiques et l’impact des effets cumulatifs à l’intérieur du bassin versant, de l’amont vers l’aval. Cette approche cherche ainsi à inclure les intérêts, les ressources et les contraintes de l’ensemble des acteurs de l’eau à l’intérieur de la gestion durable de cette ressource collective.
La GIEBV fut initialement mise en place par le gouvernement du Québec en novembre 2002 avec l’adoption de la Politique nationale de l’eau. Cette politique fut instaurée suite à la mise sur pied d’organisme de gestion par bassin versant au Québec, tel que le Comité de bassin de la rivière Chaudière (COBARIC). Le gouvernement s’engageait par cette mesure à mettre en place la gestion de l’eau au sein de la province selon le principe de gestion par bassin versant. De cette mesure, 33 organismes de bassins versants (OBV) furent créés afin de mettre en place la GIEBV sur les territoires de 33 rivières jugées prioritaires. Cette mesure fut ainsi à l’origine de la mise sur pied des organismes de bassins versants de la région du Centre-du-Québec, soit le Groupe de concertation du bassin versant de la rivière Bécancour (GROBEC), l’Organisme de concertation pour l’eau des bassins versants de la rivière Nicolet (COPERNIC), le Comité de gestion du bassin versant de la rivière Saint-François ainsi que le Conseil de gestion du bassin versant de la Yamaska (COGEBY), qui fut fondé quelques années auparavant en 2000.
La Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection fut adoptée quelques années plus tard en 2009. Ce texte de loi est venu reconnaître l’importance de l’eau comme bien collectif du Québec et est venu définir plus précisément la mission des OBV. Les OBV ont ainsi pour mission d’élaborer et de mettre à jour un plan directeur de l’eau et d’en promouvoir et d’en suivre la mise en œuvre. Cette mission doit s’assurer d’une représentation équilibrée des acteurs de l’eau. L’adoption de cette loi fut également l’occasion de redécouper le territoire du Québec méridional en 40 zones de gestion intégrée de l’eau, afin de couvrir l’ensemble du territoire de la province.
Plusieurs mandats spécifiques furent également attribués aux OBV par le gouvernement québécois afin de définir leur rôle sur le territoire, dont :
– Favoriser la concertation des intervenants régionaux concernés par les enjeux de l’eau sur leur territoire respectif;
– Informer, mobiliser, consulter et sensibiliser la population, ainsi que promouvoir la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) sur leur territoire respectif;
– Élaborer un plan directeur de l’eau (PDE) représentatif des préoccupations et de la vision d’avenir du milieu.
Ce dernier point constitue l’une des pierres angulaires de la GIEBV. Cet outil de planification vise ainsi à déterminer et hiérarchiser les interventions à réaliser dans un bassin versant pour atteindre les objectifs fixés de manière concertée par l’ensemble des acteurs de l’eau de ce territoire, issus des milieux économiques, municipaux, environnementaux et communautaires.
Les OBV œuvrent ainsi depuis les dernières années avec l’ensemble des acteurs à la mise en œuvre de leur PDE. Ce travail collectif a permis de s’attaquer aux nombreuses problématiques affectant les lacs, rivières et milieux humides de la province, que ce soient les enjeux de qualité et/ou quantité d’eau, l’eutrophisation des plans d’eau et l’apparition de cyanobactérie au sein de ceux-ci, etc.
Ces efforts furent accompagnés d’une modernisation de la réglementation et des manières de faire. Pensons aux travaux de rénovation de la Loi sur la Qualité de l’Environnement (LQE) qui sont venus entre autres renforcer la protection des cours d’eau. La gestion des cours d’eau vise maintenant plutôt une approche ayant pour objectif de retenir les sédiments à la source plutôt qu’à procéder systématiquement à leur retrait par l’entretien des cours d’eau.
Beaucoup de travail demeure toutefois à réaliser afin de conserver et de protéger cette ressource collective. La région des Basses-Terres du Saint-Laurent a ainsi été le témoin depuis les dernières décennies d’une destruction importante des milieux humides qui l’habite. Des études ont également montré un portrait similaire pour la région des bassins versants de la zone Bécancour se trouvant au Centre-du-Québec, où près de 5 433 ha de tourbières furent irréversiblement perturbés et perdus entre la période de 1966 et 2010.
La conservation des milieux humides et hydriques subsistants est autant plus importante, compte tenu des nombreux services écologiques que ceux-ci peuvent apporter à la population et à l’environnement. Cette conservation doit certes inclure des mesures de protection des complexes d’intérêts, mais également passer par des actions de restauration des sites dégradés et l’utilisation durable de ces milieux. L’instauration du principe de zéro perte nette par l’adoption de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (LCMHH), et la prise en compte de l’importance de ces milieux dans l’aménagement du territoire représente une bonne avancée dans ce dossier.
La conservation des milieux humides et hydriques représente également une mesure essentielle dans l’adaptation aux changements climatiques. Ces changements climatiques ainsi que les impacts associés affecteront significativement la région du Centre-du-Québec au cours des prochaines décennies.
Les divers changements attendus pourront ainsi accentuer les problématiques d’inondations et de débâcles au printemps, provoquant entre autres une augmentation de la fréquence de surcharge des systèmes d’égouts. L’adoption d’une gestion durable des eaux pluviales par les citoyens et les municipalités représente ainsi une mesure importante pour l’adaptation de nos collectivités à ce nouvel enjeu.
L’augmentation des températures aura également comme impact d’aggraver la sévérité des étiages estivaux. Cette baisse des débits d’eau aura plusieurs impacts significatifs pour le milieu, dont l’approvisionnement des municipalités et résidences en eau potable et l’irrigation des terres agricoles. Il sera donc important de repenser gestion des écoulements d’eau, afin de transiter d’une approche d’évacuation de l’eau le plus rapidement possible à une stratégie visant plutôt la rétention de l’eau sur nos territoires. La conservation des milieux humides devra occuper une place centrale de cette gestion, en raison de leur fonction naturelle de rétention.
Ces nombreux défis à venir justifient d’autant plus la nécessité d’adopter une vision concertée de la gestion des ressources en eaux et des milieux humides et riverains associés par bassin versant. Les cours d’eau ont longtemps été perçus comme des canaux d’évacuation des eaux et des déchets. Ils sont aujourd’hui heureusement reconnus davantage comme des écosystèmes abritant une riche vie aquatique et offrant de nombreux services à la société. La mise en œuvre collective des actions visant à conserver et mettre en valeur l’eau demeure ainsi une priorité afin de protéger et pérenniser cette ressource pour les générations futures.
Emanuel Laplante
Directeur général du Groupe de concertation des bassins versants de la zone Bécancour (GROBEC)