Il était une fois un jeune homme aux yeux vert pomme qui soupait chez sa grand-mère sur le bord de la mer en Gaspésie. En compagnie de ses grands oncles, ils discutèrent du sujet de toutes les conversations mondaines : la météo. La grand-mère s’exclama : « On se gèle déjà le derrière en août! Après ça, ils viennent nous parler de réchauffement climatique aux nouvelles! » Et l’un des grands oncles renchérit : « Sont même pas capables de prévoir la météo qu’il fera demain, imagine dans 30 ans! » C’est moi ce jeune homme en passant.

Il n’en fallait pas moins pour me titiller :
–  La météo et le climat, ce n’est pas pareil.
–  On ne dit plus réchauffement climatique, mais dérèglement ou changement climatique.
–  L’érosion côtière est littéralement à votre porte!
–  Ok Boomer.

La partie moins combative de mon cerveau se remémora alors un concept phare du dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts en climat (le GIEC, de son petit nom) : la maladaptation. Par exemple, certains argumentent que la climatisation causerait plus de tort en raison des émissions de GES qu’elle engendre, bien qu’elle puisse réduire les effets de la chaleur sur la santé. Elle est également plus accessible aux personnes plus fortunées et peut donc aggraver les inégalités. Je me suis dit, pourquoi est-ce que ça ne s’appliquerait pas aussi dans nos communications, même celles avec nos proches?

Et si, malencontreusement, je causerais plus de tort en tentant de rectifier les croyances de ma famille? Et si j’amplifiais la polarisation sur le sujet? Je cherchai donc à mieux comprendre leur position et leur demandai : « Pensez-vous que les changements climatiques se produisent et qu’ils représentent un enjeu majeur? »

La plupart offrirent des réponses du genre :
–  Probablement pas.
–  Oui, mais on a d’autres crèmes à fouetter (est-ce une expression de ma famille ou du bas du fleuve? Je ne saurais dire.)
–  Oui, mais on ne peut rien y faire, alors à quoi bon?

La plupart des gens ont généralement trois vitesses : oui, non, peut-être. Notre faible résistance à l’incertitude et notre compréhension lacunaire des probabilités nous mènent généralement à ignorer ce qui se trouve dans la zone du « peut-être ». Plusieurs voient aussi le monde comme un jeu à somme nulle ou une entité prédéterminée. Tout ça incite à penser de façon binaire et à résister au changement. Et si vous vous croyez au-dessus de ça, la plupart des gens pensent la même chose. Réfléchissez-y deux fois ; Je parle en connaissance de cause.

À partir de ces réflexions, la partie plus créative de mon cerveau (en manque d’exercice je dois dire) chercha à alimenter ainsi la discussion : « Si vous avez 10 % de chance de vous faire frapper en traversant la route, traversez-vous même si vous devez absolument passer par là pour aller faire votre épicerie? » Quoi de mieux qu’une analogie de char pour attirer l’attention.

Bref, même si on est incertain qu’un évènement se produise, ne faudrait-il pas s’en préoccuper si les conséquences attendues sont suffisamment grandes?
–  Si l’évènement A a 10 % de probabilité de provoquer 100 000 décès;
–  Si l’évènement B a 90 % de probabilité de provoquer 10 000 décès;
Lequel présente le risque le plus élevé?

En multipliant la probabilité d’occurrence par les conséquences potentielles, on obtient la valeur du risque. Donc :
–  10% X 100 000=10 000 décès
–  90% X 10 000=9000 décès
Le risque serait ainsi plus élevé pour l’évènement A. Pourtant, plusieurs préfèreraient prévenir le deuxième évènement. Qu’en est-il de vous? Avant de vous perdre avec plus de mathématiques, revenons à nos caribous. Par cette question, je voulais aussi transmettre la notion que les enjeux, ici la sécurité routière et la sécurité alimentaire, ne sont pas mutuellement exclusifs. Quelques mesures d’apaisement de la circulation faciliteraient l’accès à l’épicerie.

Ça m’a rappelé un autre concept du rapport du GIEC – parce que c’est manifestement l’un des objectifs de cette chronique – ceux de mesures sans regret. Les avantages associés (ou co-bénéfices) de ces mesures sont si importants qu’elles s’avèrent bénéfiques, peu importe l’évolution du climat.

Certaines peuvent avoir une portée transformatrice ou un objectif principal autre que la lutte contre les changements climatiques. Par exemple, la lutte contre la pauvreté, l’abordabilité des logements et l’accès à la nature ont tous le potentiel de réduire les effets du climat changeant, mais surtout, elles favoriseront presque assurément le bien-être de la population même si aucun évènement climatique se produit.

Ça peut donc rendre le tout plus digeste pour des personnes plus « sceptiques », surtout si elles sont bourrées de cipâte (ou cipaille pour les hérétiques). En toute franchise, je ne sais pas à quel point cette discussion familiale a pu faire cheminer les idées. Certains trouvaient la comparaison douteuse; d’autres avaient de quoi réfléchir. Comme dirait ma grand-mère (mon autre) : « il faut bien commencer quelque part. »

Ça nous rendra moins anxieux pour traverser la route.