L’ÉDITO de l’experte : Favoriser la citoyenneté climatique

On entend souvent dire que la responsabilité des citoyens, à titre de consommateurs, est un élément-clé pour assurer que notre espèce humaine se développe dans le respect des limites des ressources naturelles de la Terre qui nous accueille. En effet, si l’on souhaite limiter le réchauffement climatique à une cible vivable de 1,5°C par rapport à la période préindustrielle afin de respecter les Accords de Paris, l’empreinte carbone d’un humain devrait se limiter à 2 tonnes d’équivalent CO2 (eqCO2) par an d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. La moyenne québécoise serait de 2 fois supérieure à la moyenne mondiale, soit environ 15 tonnes [i].

Alors que des organismes tels que Greenpeace travaillent à aider des particuliers à prioriser leurs actions individuelles via des recommandations, telles que cibler les écogestes les plus porteurs (Greenpaece, 2023), ces solutions amenées ne font pas toujours l’unanimité auprès de la population vu l’ampleur du changement de mode de vie que cela représente sur une courte période.

Est-ce si simple d’être un consommateur responsable et averti? Est-ce qu’il nous suffit d’être sensibilisés et de comprendre les mécanismes des changements climatiques et de l’érosion de la biodiversité pour changer radicalement nos façons de faire du jour au lendemain et devenir tous écoresponsables? La responsabilité d’atteindre ce 2 tonnes est-elle purement individuelle, en comparaison des impacts environnementaux des collectivités et industries? Ce sont toutes des questions que j’ai déjà entendues, en animant de façon bénévole des ateliers de la Fresque du Climat [ii] et de la Fresque de la Biodiversité [iii], tous deux visant la vulgarisation, la sensibilisation et facilitant le passage à l’action, avec une approche éducative basée sur l’intelligence collective, la créativité, les études scientifiques en la matière (rapports du GIEC et de l’IPBES).

La recette « magique » menant à des consommateurs en action n’est pas si simple, et appelle à une mobilisation des différents acteurs gravitant autour des consommateurs. Je rapporterai ici quelques défis observés de façon empirique, et des réflexions rapportées par des participants qui me semblent collectives. Il n’y aura pas de solution toute faite à la fin de cet article, étant que la clé d’un défi si complexe ne peut  venir que de la concertation et l’action soutenue, continue et combinée de l’ensemble des parties prenantes, incluant des organismes pivots tels que le CRECQ.

Prendre le temps alors que tout va vite
Alors que nous sommes tous appelés à revoir nos façons de consommer afin d’utiliser les ressources naturelles disponibles sans compromettre leur accès aux générations futures, le passage à l’action individuel est parfois timide, teinté quelques fois de fatalité (« de toute façon ça ne changera rien », de désillusion (« j’ai tout essayé »), et découragement (« c’est trop gros, jamais on n’y arrivera ») notamment par ceux qui écoutent régulièrement les nouvelles peu encourageantes relatant les impacts visibles des changements climatiques (feux de forêt de l’été passé, records de chaleur mondiaux, prévision des ressources en eau potable, etc.).

L’écoanxiété peut en effet mener à des stratégies d’évitement, telles que « l’impuissance, au désespoir et à la perte d’espoir en l’avenir », en particulier pour les jeunes [iii], notamment lorsqu’on a le sentiment que le défi dépasse nos capacités et/ou les moyens à notre disposition pour faire face.

Évolution culturelle sociétale, marketing des organisations au « service des consommateurs », et la responsabilité sociétale des organisations
Il est clairement établi que d’atteindre la cible des Accords de Paris passe par une transformation économique et sociale [iv]. Reste également que la réalité demeure que de nombreuses publicités appellent les consommateurs à se persuader de nouveaux « besoins vitaux» de biens de consommation dont on se portait bien quand ils n’existaient pas. Sans dire que nous devrions revenir à l’époque de l’homme de Cromagnon, à quel point certaines « innovations » contribue à la cible ambitieuse des Accords de Paris ! Les organisations ont-elles un rôle à jouer pour limiter la publicité sur les produits à fort impact environnemental (calculé sur toute leur chaine de valeur) afin de permettre des choix éclairés? J’ai eu une belle discussion il y a quelques semaines avec un acteur engagé depuis de longues années dans la lutte et l’adaptation aux changements climatiques.

Sensibiliser, outiller et accompagner les citoyens
Le climatologue Michael Mann mentionnait que « L’éco-anxiété est une préoccupation réelle et valable, en particulier chez les jeunes qui sont plus susceptibles d’être conscients de la gravité des problèmes environnementaux. Nous devons soutenir ces personnes et leur fournir les outils et les ressources dont elles ont besoin pour agir et créer un changement positif. » [v].

Pour réussir à transformer l’éco-anxiété en action, il est notamment recommandé par Éco-anxiété Canada [v] de commencer par diversifier ses sources d’informations (regarder autre chose que les manchettes de journaux). Quoi de plus encourageant que de se rattacher aux milliers de projets et initiatives porteurs dans le monde, notre pays, notre belle province, et même la région du Centre-du-Québec ? J’ai découvert à la bibliothèque de Drummondville il y a quelques mois le livre Demain : le Québec : des initiatives inspirantes pour un monde plus vert et plus juste [v] qui est une vraie mine d’espoir. Entre autres, la plateforme québécoise Phare Climat regorge également d’initiatives inspirantes, dont plus d’une vingtaine dans notre belle région du Centre-du-Québec.

Cela mène aussi à se demander s’il y a un rôle à jouer par les collectivités pour contribuer à rehausser le pouvoir d’agir et mieux accompagner les citoyens, contribuant à maximiser les efforts quand ils sont prêts à passer à l’action?

Importance de reconnaître et s’approprier son pouvoir d’agir individuel
En parallèle, il est beau de voir que certains citoyens, d’un autre côté, arrivent à déjouer ou surmonter l’éco-anxiété, et s’engagent à faire leur part, selon les leviers et le temps dont ils disposent, en acceptant que ce ne soit pas parfait, en prenant même du temps en famille s’il le faut pour ces sujets qui contribueront à notre qualité de vie future.

Malgré la co-responsabilité apparente et le besoin de soutien de la part des industries et collectivités, quelques pistes sont suggérées, telles que :
– Aller à la rencontre de personnes et/ou organismes qui contribuent à construire le Québec de demain,
– Encourager les initiatives porteuses (surtout locales) et les partager
– Se renseigner sur les ressources disponibles et les utiliser, faire des propositions pour les bonifier, sont des gestes concrets qui nous redonnent du pouvoir.

Il m’est arrivé d’entendre des personnes à différentes occasions dire des phrases telles que « à quoi bon prendre des actions à mon échelle d’unique consommateur, alors que les plus gros pollueurs sont les entreprises et n’ent font pas assez, et que l’action des collectivités n’est pas suffisante?». Ce qui me vient en tête et guide mes actions de citoyenne, c’est plutôt quelques belles expressions que je choisis de me répéter telles que « Ceux qui ne croient pas en l’impossible sont priés de ne pas décourager ceux qui sont en train de le faire » [vi] ou la belle phrase de Mahatma Ghandi « Soit le changement que tu aimerais voir dans le monde ».

Même s’il y a assurément des choses à travailler par les sphères publiques et privées, les citoyens que nous sommes tous (peu importe notre rôle professionnel, familial, etc.) peuvent agir déjà, chacun à son échelle et dans sa vie de tous les jours, tout en contribuant au dialogue et aux concertations publiques (par exemple via le Bureau d’audiences publiques pour l’environnement – BAPE), en contribuant à influencer les décideurs lorsque requis, et surtout assurons-nous d’encourager les organismes et organisations qui mettent en place des initiatives porteuses (cela exclut le greenwashing), qui tentent d’innover et réinventer leurs modèles d’affaires en les rendant réellement plus durables.

Sandrine Lacaste
MBA, CRHA. Étudiante en 2ème cycle en Responsabilité sociale et environnementale des organisations à l’Université Laval

Références :
[i] La Presse (2022). « La vraie empreinte carbone des Québécois | La Presse »
[ii] La Fresque du Climat est un atelier collaboratif qui permet « à chacun de comprendre le fonctionnement, l’ampleur et la complexité des enjeux liés aux dérèglements climatiques ». IL est diffusé par une association fondée en 2018 par Cédric Ringenbach, déjà suivi par plus de 1,2 million de participants dans 156 pays et traduit en 45 langues.
[iii] La Fresque de la biodiversité permet de découvrir « au travers d’un atelier ludique et collaboratif l’aspect systémique de l’érosion de la biodiversité : ce qu’elle est, ce qu’elle permet et ce qui la dégrade. ». Il a été créé en 2019 par Géraldine Vuillierm Geoffrey Vuillier, Charles Sirôt et Deloitte, et suivi par plus de 18 000 personnes.
[iv] United Nations Climate Change (2022) “L’Accord de Paris ». UNNCC consulté en ligne
[v] Anxiété Canada, 2023. « L’éco-anxiété et les moyens d’y faire face », consulté en ligne
[vi] Creimet D. et al. (2018), « Demain, le Québec – Des initiatives inspirantes pour un monde plus vert et plus juste ». Éditions La Presse
[vii]  auteur inconnu