L’Économie collaborative et le développement durable : conciliables ?

Bien qu’il n’y ait pas de définition claire et unanime de l’économie collaborative (EC), on peut qualifier ce modèle socio-économique comme étant un réseau de marchés décentralisés qui permettent de valoriser des actifs sous-utilisés en faisant correspondre les besoins des uns aux avoirs ou connaissances des autres. Dans la majorité des cas, les intermédiaires traditionnels sont remplacés par des plateformes numériques. L’EC propose donc de nouveaux modèles de production, de consommation, de financement et d’apprentissage basés sur une logique d’accès plutôt que de propriété. Malgré le fait que ce mouvement ait initialement été présenté comme durable et communautaire, il a également favorisé l’émergence d’organisations monopolistiques axées sur la maximisation du profit plutôt que sur celle du bien commun.

Selon le dernier recensement, il y aurait plus de 210 initiatives de l’économie collaborative au Québec, et ce chiffre est en constante évolution. La popularité montante des pratiques collaboratives au Québec, jumelée au manque d’encadrement de celles-ci par les autorités publiques, soulève donc plusieurs enjeux de responsabilité sociale des organisations. Effectivement, les cadres réglementaires, les conventions d’assurances et les dispositions fiscales ou de protection du consommateur de la province sont présentement inadéquates et permettent l’exploitation de zones grises légales par certaines plateformes.

En plus des impacts que les plateformes d’économie de partage peuvent avoir au niveau individuel, elles créent aussi certaines préoccupations macroéconomiques. Elles peuvent en effet modifier complètement la réalité de certaines communautés. Par exemple, au Canada, la présence de Airbnb a mené à une aggravation du problème de pénurie de logements, car de nombreux immeubles locatifs ont été convertis en logements de courte durée. Du coup, les coûts des logements ont montés en flèche, résultant en des expulsions de locataires rendus incapables de payer leur loyer. D’autre part, l’omniprésence des voitures de compagnies de transport comme Uber contribuent à la congestion des routes dans les grandes villes, sans compter qu’elles ciblent le même segment de population que les transports en commun. L’existence même des systèmes de transport en commun est donc menacée par les sociétés de covoiturage, qui mettent en péril leur viabilité économique. Il pourrait en résulter des effets néfastes sur l’environnement vu l’élimination des avantages associés à l’utilisation des transits partagés, dont la réduction des émissions de carbone.

Bien entendu, la relation entre l’économie du partage et l’impact écologique est complexe. Certes, l’EC promet une augmentation de la durée d’usage du bien afin de maximiser son utilisation. On s’attend donc à ce que ses activités produisent moins de déchets que l’économie traditionnelle tout en limitant les prélèvements de ressources. Pourtant, le bilan environnemental est moins évident qu’il n’y paraît selon l’Institut du développement durable et des relations internationales, qui explique que ce bilan dépend de plusieurs conditions très spécifiques aux modèles considérés :

« De manière générale on voit émerger les enjeux : de durabilité des produits partagés, la location permettant de réduire le nombre de biens à produire si le bien emprunté ne s’use pas beaucoup plus rapidement ; d’optimisation du transport des biens, amenés à être moins transportés sur longue distance mais plus sur courte distance ; des modes de consommation, les modèles de partage pouvant être le vecteur d’une consommation durable comme celui d’une hyperconsommation matérielle »*.

Cela signifie que l’économie collaborative peut être considérée bénéfique pour l’environnement que si un certain nombre de conditions sont réunies, c’est-à-dire la durabilité des biens produits, l’optimisation du transport et un changement du rapport à la consommation. Qui doit  être considéré responsable des externalités négatives générées par les activités de l’EC ? Le gouvernement pour ne pas avoir régulé ou supervisé adéquatement les échanges de plateformes, les plateformes elles-mêmes ou les individus qui les utilisent ? Chose certaine, la recherche effectuée dans le cadre de mes études a révélé un manque d’action de la part des autorités publiques du Québec pour encadrer efficacement l’activité des plateformes d’économie collaborative dans les dernières années.

 

Anne-Sophie Evoy
Biologiste, M. Sc. Administration des affaires, avec spécialisation en responsabilité sociale et environnementale des organisations
Chargée de soutien à la mission des OBV, Regroupement des organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ)

*Demailly, D., & Novel, A-S. (2014). Économie du partage : enjeux et opportunités pour la transition écologique. IDDRI. https://www.iddri.org/sites/default/files/import/publications/st0314_dd-asn_eco-partage.pdf