12 février 2025 – Lutte contre les plantes aquatiques : les pesticides comme solution miracle?

J’effectue des recherches sur les plantes exotiques envahissantes depuis près de 30 ans. Je me consacre ces dernières années aux méthodes de lutte écoresponsables contre les espèces les plus nuisibles. Parfois, elles donnent de bons résultats avec un investissement raisonnable, mais souvent, l’envahisseur est si omniprésent que j’invite les personnes qui mènent la lutte à entreprendre d’autres combats : à l’impossible, nul n’est tenu !

Écoresponsable ne veut pas forcément dire sans herbicides. Je suis très peu enclin à utiliser ces produits toxiques, mais en certaines circonstances, il est difficile de faire autrement. C’est notamment le cas en milieu riverain en présence d’une invasion massive de berce du Caucase. Déterrer à la pelle les racines est efficace, mais l’effort peut s’avérer herculéen si les plants se comptent par milliers. Considérant les conséquences sur la santé de cette plante redoutable, l’usage ciblé d’un herbicide au bon moment de l’année (printemps) peut s’avérer la seule solution envisageable (et légale) pour empêcher la plante de se répandre.

Il y a toutefois une ligne que je ne franchis pas : la pulvérisation en milieu aquatique. Depuis quelques années, plusieurs organismes de protection de l’environnement de l’Ontario font un usage massif d’herbicides puissants (dibromure de diquat, glyphosate, imazapyr) pour lutter contre le roseau commun et le stratiote faux-aloès dans les marais du lac Érié et de la rivière Trent, et ce, sur des centaines d’hectares. Cela donne des résultats, bien sûr – tous les herbicides sont efficaces à court terme – mais à quel prix ? Les recherches américaines sur le roseau commun montrent que les pulvérisations de glyphosate doivent être recommencées tous les huit – dix ans pour que l’effet persiste. Les amphibiens ne survivent pas à une pulvérisation au glyphosate, ce que l’on néglige de considérer de manière surprenante. Le dibromure de diquat a pour sa part permis de réduire de manière substantielle la superficie des herbiers de stratiote faux-aloès, mais cet herbicide est peu sélectif et est même interdit d’usage en Europe en raison de sa toxicité.

Depuis deux ans, je suis régulièrement sollicité par des associations de riverains pour donner un avis sur un nouvel herbicide miraculeux, officiellement homologué au

Canada, contre le myriophylle à épis. Outre le fait que ce n’est qu’une déclinaison du tout premier herbicide inventé en… 1941 (2,4-D), il y a très peu de preuves de son efficacité à long terme publiées dans des revues scientifiques. Il semble un peu plus sélectif que les autres produits utilisés à ce jour, mais cela n’en fait pas pour autant une solution écoresponsable.

Le Québec a développé ces dernières années des techniques de lutte contre le myriophylle fondées sur le bâchage et l’arrachage des tiges qui non seulement ont peu d’effets nocifs sur l’environnement, mais qui sont encore à ce jour les seules qui ont été scientifiquement testées pour leur durabilité. Il est vrai qu’elles coûtent cher, mais les herbicides aussi sont coûteux et leurs impacts environnementaux sont encore largement insoupçonnés. Si un herbicide est le prix à payer pour se débarrasser du myriophylle, peut-être vaut-il mieux apprendre à vivre avec l’envahisseur et investir ses deniers dans d’autres aspects de protection de la santé du lac, comme la réduction de l’enrichissement en phosphore. L’environnement ne s’en portera que mieux en définitive.

Claude Lavoie, Ph.D.
Biologiste, professeur titulaire à l’École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional de
l’Université Laval