Ruée vers les coulées

Depuis des décennies, la communauté internationale s’inquiète à la fois des changements climatiques, du déclin de la biodiversité mondiale et de la perte des services écologiques que celle-ci dispense à l’ensemble de l’humanité. En ce qui a trait à ces deux derniers points, les plus récents objectifs que les pays signataires de l’accord de Kunming-Montréal se sont fixés pour y remédier lors de la récente COP15 sont certes en phase avec ce que la science nous démontre, mais demeurent néanmoins ambitieux. L’un de ceux-ci vise d’ailleurs à assurer la conservation de 30% de l’ensemble du territoire d’ici 2030[1].

À l’échelle des basses-terres du Saint-Laurent, région la plus peuplée du Québec, cela signifie faire des gains en matière de milieux naturels à hauteur de 2 000 Km², et d’ensuite octroyer un statut de conservation à l’ensemble de ceux-ci. Tout ça d’ici… demain matin, finalement. Dans ce contexte, il est normal que l’ensemble des acteurs régionaux s’activent présentement à saisir les opportunités de restauration écologique sur le territoire. C’est aussi le cas chez nous, en Montérégie.

Au travers ce paysage fragmenté où les agglomérations urbaines comme les milieux naturels se retrouvent circonscrits au sein des terres les plus productives du Québec, il va sans dire que le territoire agricole apparaît pour plusieurs comme le secteur le plus propice à accueillir la restauration de milieux naturels. Le hic, qui fait aussi notre fierté, c’est que les terres montérégiennes supportent plus de 30% de la production agricole de la province[2]. Conscients de cette réalité, les organismes environnementaux se concentrent donc davantage sur les secteurs moins productifs afin d’amorcer cette incontournable restauration écologique en minimisant les impacts sur la rentabilité des entreprises agricoles.

Depuis plusieurs mois, ils ont ainsi identifié leur zone de prédilection pour ce faire : les coulées agricoles. Caractérisés par des pentes contraignantes pour l’agriculture conventionnelle et par la présence d’un cours d’eau en contre-bas, ces secteurs cultivés ou non semblent en effet constituer une première étape logique dans les efforts de restauration écologique régionale. L’engouement est d’ailleurs palpable sur le terrain : uniquement dans la grande région de Saint-Hyacinthe, au moins trois initiatives d’ampleur régionale jouent du coude pour réaliser des aménagements en contexte de coulée agricole.

D’un point de vue professionnel, la multiplication de ces efforts d’aménagement devrait nous réjouir. Toutefois, les objectifs parcourus par les initiatives en cours divergent, passant entre autres de la maximisation de stockage de carbone à la bonification de la biodiversité. Si bien qu’on en vient à se demander si, dans cette course à la restauration écologique, les efforts de l’un ne viennent pas en compétition avec les efforts de l’autre.

Selon une récente étude de la firme Habitat[3], il y aurait environ 75 Km² de coulées agricoles dans les basses-terres du Saint-Laurent. Pour atteindre la cible des 2 000 Km² de territoire restauré tel que le dicte l’accord Kunming-Montréal, j’ai bien peur qu’on finisse par manquer de coulées! Et il y a fort à parier que les regards se tourneront encore une fois vers les terres agricoles – qui comptent pour moins de 2% du territoire du Québec – pour combler ce manque à gagner.

Il faudrait donc dès maintenant se concerter en vue de la prochaine étape. Car cette richesse collective qu’est le territoire agricole ne pourra répondre à la fois aux besoins des promoteurs immobiliers et aux enjeux de préservation et de restauration des milieux naturels.

Patrick Desautels
Conseiller en agroenvironnement, Fédération de l’UPA de la Montérégie

Références:
[1] [En ligne] https://www.cbd.int/article/cop15-final-text-kunming-montreal-gbf-221222
[2] [En ligne] https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/agriculture-pecheries-alimentation/agriculture/industrie-agricole/regions/FS_profilregionalbioalimentaire_complet_MAPAQ.pdf
[3] [En ligne] https://www.habitat-nature.com/nosprojets/les-coulees-agricoles